Et un campement en bazar, ça, les Pygmées n’aiment vraiment pas. Mais ce qu’ils ne supportent pas par-dessus tout, c’est le BRuiT que fait le BaZaR. Le ChahuT. Faire du bruit, chez les Pygmées, en particulier quand on se déplace, c’est juste impardonnable – sauf lorsqu’il s’agit d’eFFRayer les éventuelles bêtes sauvages pendant la cueillette.
Ce lien entre le DéSoRDRe et le BRuiT, on le retrouve en hébreu dans TeShuʔah le FRaCaS, le TuMuLTe et tuwShyah qui signifie le bruit de la TeMPêTe dans Job 30.22. « Oui tuwShyah on l’a déjà vu, c’est Rose 🩷 Rouge 🔴 et Bleu Clair 💎 ». Exact Polisson. tuwShyah ça fait aussi penser à TouSSer, de TuSSis en latin, qui fait beaucoup de bruit. Ces mots viennent toujours de Shaʔah qu’on a déjà vu, qui a ce sens de bruit dans Isaïe 17.12 et 13 en parlant des nations qui GRoNDent comme grondent les eaux puissantes. Il y a aussi Showʔ avec le sens de bruit, dans Job 30.14 et Shaʔown aussi avec le sens de MuGissement, tumulte.
Ce lien entre le DéSoRDRe et le BRuiT, on le retrouve aussi en Français avec l’expression faire un ChaRiVaRi. Le charivari – ou devrais-je dire le chariwari - c’était une pratique qui consistait pour une communauté à faire beaucoup de bruit lorsqu’un vieux épousait une jeune et plus généralement pour SaNCtionner des personnes ayant enfreint les valeurs morales ou les traditions de cette communauté.
Et si le bruit est si insupportable pour les Pygmées, c’est d’abord parce qu’il est source de ConFuSion : tout est BouLeVeRSé, sens DeSSuS-DeSSouS, c’est le BaZaR, on n’entend plus rien. Car figurez-vous que les Pygmées n’ont ni les mêmes facultés auditives, ni les mêmes facultés visuelles que nous. On reviendra bientôt sur leur vision limitée, mais leur point fort, c’est vraiment l’ouïe car ils sont capables d’entendre le bruit du campement de très très loin. Et donc, quand il y a du bruit, leurs facultés de PeRCeption sont fortement amoindries. Tout devient confus.
Mais surtout, si les Pygmées ne supportent pas le bruit, c’est qu’il va souvent de pair avec la ZiZaNie et les DiSPuTes au sein du campement. Le chant 39 du Tao Te King, qu’on a déjà vu fait le lien entre le bruit, où l’absence de sérénité, et la RuiNe « Si la terre n’était pas tranquille, elle se ruinerait ». En fait cette thématique du bruit et du VaCaRMe des hommes qui se disputent et qui empêche la terre de se reposer on la retrouve dans de nombreux mythes, en particulier dans l’Enuma Elish.
Colin Turnbull, dans The Forest People, cite à de nombreuses reprises comment, pour un Pygmée, un « camp BRuyant est un camp aFFaMé », avec l’expression récurrente « Vous faites trop de bruit pour la FoRêT » - notamment parce qu’il fait fuir le gibier. Toute l’approche de la justice des Pygmées repose plus sur la PRéSeRVation de l’harmonie et du CaLMe au sein du campement que de savoir qui a tort ou qui a raison.
C’est que, tout comme la CaBaNe du couple Pygmée n’existe que tant que le couple est en haRMoNie, le sort du Cosmos dépend lui aussi de l’harmonie entre les hommes, comme le chantait Hésiode, en parlant des cinq RaCes qui se sont succédé sur la terre : la race d’or, d’argent, de bronze, des demi-dieux et enfin de fer. Je vous lis, c’est dans les Travaux et les Jours (P21).
Et plût au CieL que je n'eusse pas à mon tour à vivre a milieu de ceux de la cinquième race, et que je fusse mort plus tôt ou né plus tard. Car c'est maintenant la race du FeR. Ils ne cesseront ni le jour de SouFFRir fatigues et misères, ni la nuit d'être consumés par les dures aNGoiSSes que leur enverront les dieux. Du moins trouveront-ils encore quelques biens mêlés à leurs maux. Mais l'heure viendra où Zeus aNéantira à son tour cette race d'hommes PéRissables : ce sera le moment où ils naîtront avec des tempes blanches. Le PèRe alors ne ressemblera plus à ses FiLS ni les fils à leur père ; l'HôTe ne sera plus cher à son hôte, l'aMi à son ami, le FRèRe à son frère, ainsi qu'aux jours passés. À leurs parents, sitôt qu'ils vieilliront, ils ne montreront que MéPRis ; pour se plaindre d'eux, ils s'exprimeront en paroles rudes, les méchants ! et ne connaîtront même pas la CRainte du Ciel. Aux vieillards qui les ont nourris ils refuseront les aliments, mettant le droit dans la force ; et ils RaVaGeront les cités les uns des autres. Nul prix ne s'attachera plus au SeRMent tenu, au JuSTe, au bien : c'est à l'artisan de CRiMes, à l'homme tout déMeSuRe qu'iront leurs respects ; le seul droit sera la force, la conscience n'existera plus. Le LâChe attaquera le brave avec des mots tortueux, qu'il appuiera d'un FauX serment. Aux pas de tous les misérables humains s'attachera la jalousie, au langage amer, au front haiNeux, qui se plaît au MaL. Alors, quittant pour l'Olympe la terre aux larges routes, cachant leurs beaux corps sous des voiles blancs, Conscience et Vergogne, délaissant les hommes, monteront vers les Eternels. De tristes souffrances resteront seules aux mortels : contre le mal il ne sera point de recours.
La DiSPuTe fait partie intégrante de l’existence humaine. L’haRMoNieest toujours temporaire. Et tous les PRoPhèTes se sont affronté à des eNNeMis et à des aDVeRSaires, qu’il s’agisse, me concernant, des PhaRiSiens de la linguistique et de l’anthropologie qui eMBRouiLLent ce qui est simple. Qu’il s’agisse encore de ceux que le ChRiST affronta il y a 2000 ans, comme tous les Prophètes d’Israël avant lui. Qu’il s’agisse enfin du Prophète de l’Islam, dont le Coran raconte les nombreuses disputes, ou de Zarathoustra qui LuTTait contre ces MauVaiS enseignants qui « en iNVeRSant les mots justes, assombrissent les pensées radieuses et conduisent les gens à la ConFuSion » comme il le raconte au Chant V, §10. Où l’on retrouve le lien avec l’inversion et la confusion.
aDVeRSaire provient d’aDVeRSo en latin, adverse, un autre dérivé de notre hyper-polysémique VeRTo/VeRSo. Avec l’adversaire, on retrouve d’ailleurs aussi notre champ sémantique MiLitaire que l’on a vu avec le sexe. C’est que l’acte sexuel lui-même peut parfois être empreint d’une certaine dose de VioLence, comme le relevait Sandor Ferenczi dans Thalassa (P98):
Notons encore que le CoïT s'accompagne aussi d'impulsions aGReSSives manifestes. Cette composante, dont nous avons suivi le cheminement jusqu'à la génitalité dans le chapitre consacré au développement du sens de réalité éRotique, s'exprime au cours de l'acte SeXuel par des manifestations musculaires d'intensité croissante qui n'ont pas seulement pour but de retenir l'objet d'amour, mais possèdent aussi quelques traits SaDiques évidents (MoRDre, GRiFFer).
« Ne croyez pas que je sois venu apporter la PaiX sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l'éPée » disait le Christ (Matthieu 10.34). Pour Zarathoustra, c’est notamment Bandav son ennemi et « Celui qui me CoMBaT je le combattrai aussi », au Chant XI §18. Comme j’aime bien le dire : « SuS aux PhaRiSiens ! ». Vous connaissez cette expression « Sus à aux SaRRaSins ! ». Les Sarrasins, ce sont les ennemis – les Basques dans la Chanson de Roland, et plus tard les musulmans – mais l’étymologie Pharisienne de Sarrasin est assez confuse. « Oui mais attention, sus, c’est aussi Violet 🟣 et sarrasin c’est aussi Rouge 🔴 »
En hébreu ShaRaR c’est l’ennemi, l’adversaire qui PeRSéCuTe, en particulier dans les Psaumes. Mais l’ennemi c’est aussi ShuwR un autre mot très polysémique, n’est-ce pas Polisson. « Oui ShuwR c’est aussi Violet 🟣 Marron 🟤 et Noir ⚫ ». Il y a aussi ʔaṢaR qui signifie engager les HoSTilités, par exemple dans le premier livre des Rois (20.14)– et qui lui aussi est polysémique « Oui ʔaṢaR c’est aussi Marron 🟤 et Jaune 🟡 ».
En latin il y a aussi HoSTis, l’eNNeMi, qu’on a déjà beaucoup croisé. Tandis qu’en ancien Français, il y avait l’eSTRiF, la dispute, la RiVaLité, qu’on retrouve en Anglais dans STRiFe – et en allemand dans STReit. Rivalité qu’on retrouve aussi en anglais dans STRuGGLe, ou dans ThReaT, la MeNaCe, qu’il s’agit de contrecarrer, de FRuSTRer, ThWaRT.
Dans la mythologie Nordique, les aSes, du vieil Islandais Aesir, regroupent des dieux et des héros, en particulier Odin, Thor et Loki, qui combattent les Vanes. Le préfixe As- que l’on retrouve dans l’Asgard, le domaine des dieux, fait référence aux dieux et à ce CoMBaT mythique. Avec les Ases Nordiques, on retrouve d’ailleurs aussi notre champ sémantique de ce qui est élevé et digne de louange qu’on a vu dans ma dernière vidéo.
Mais vous savez que rien n’est toujours complètement négatif. Trop d’haRMoNie tue l’harmonie. Et la DiSCoRDe peut-aussi être SuBLiMée et se transformer en esprit de CoMPéTition qui nous fait donner le meilleur de nous-même. Chez les grecs, cette DuaLité est représentée par la déesse eRiS qui incarne à la fois la discorde et la violence dans la Théogonie d’Hésiode, mais aussi la compétition, dans les Travaux et les Jours.
Enfin du côté Indo-Iranien, il y a bien sûr les Asuras, qui, chez les Iraniens sont les divinités principales Mitra, Varuna et Indra, le dieu de la GueRRe, qui s’oPPoSent aux Ahuras, les divinités bienfaisantes. En Inde, les Asuras sont des forces DéMoNiaques qui peuvent se MéTaMoRPhoser – oui comme toi mon petit Polisson – et qui s’opposent aux devas, les divinités bienfaisantes.
Mais la plus grande des LuTTes, c’est toujours la lutte contre soi-même, comme le rappelle Lao Tseu dans son Chant 33 : « Qui VainC autrui est fort, qui se vainc soi-même a la FoRCe de l’âme ». C’est aussi la figure du CoMBaT de Jacob contre l’Ange – qui lui donne le titre d’yiSRaʔeL, celui qui a combattu contre l’Eternel, ou plutôt contre lui-même. Mais il y a surtout le 57e chant qu’on a aussi déjà vu dans ce beau Clair-Obscur tout Paléolithique : « Qui se BaT par aMouR TRioMPhe ; qui se défend par amour tient ferme ; le CieL le secourt et le protège avec amour » - où l’on retrouve l’amour, le sexe, mélangé avec le combat et la VioLence.
Ce rapport aMBiVaLent entre aMouR et LuTTe, on le retrouve aussi chez ZeuS la divinité toute PuiSSante, apparentée au dieu oDiN de la GueRRe chez les Nordiques, mais qui est aussi celui dont la parole aPaiSe les QueReLLes, comme le chante Hésiode dans sa Théogonie (P11). On retrouve aussi cette TeNSion entre amour et lutte dans le message du ChRiST, comme le rapporte Matthieu 5.43 : « Vous avez appris qu'il a été dit: Tu aimeras ton prochain, et tu haïRas ton eNNeMi. Mais moi, je vous dis: Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent ». Et surtout cette phrase mythique : « tous ceux qui prendront l'éPée périront par l'épée » qu’on retrouve aussi chez Lao-Tseu, au chant 42 : « J’enseigne ceci après d’autres : l’homme VioLent n’aura pas de mort naturelle ». Ou aussi le chant 66
Ainsi le SaiNT est au dessus du peuple et le peuple ne sent pas son poids ; il dirige le peuple et le peuple n'en SouFFRe pas. C'est pourquoi tout le monde le pousse volontiers en tête et ne se lasse pas de lui. Puisqu’il ne RiVaLise avec personne, personne ne peut rivaliser avec lui
Et pour revenir à notre Peuple Élu, les Pygmées, même chez eux la DiSCoRDe et la ConFuSion ne sont pas toujours négatives – elles sont même mises en scène dans la cérémonie rituelle la plus importante, le Molimo, à laquelle Colin Turnbull a pu assister (Forest People, p84).
On y reviendra très souvent, mais sachez déjà que le Molimo, c’est une CéRéMoNie qui s’étale sur plusieurs jours, voire plusieurs semaines, durant laquelle un personnage MySTéRieux reVêTu d’herbes se déplace autour du camp en SouFFLant dans une trompette, le Molimo tandis que les enfants ChahuTent et font le BaZaR dans le camp, en secouant les HuTTes en dispersant les BRaiSes des Feux de CuiSiNe, et en n’hésitant pas à PiQuer les récalcitrants avec leurs LaNCes, particulièrement ceux qu’ils estiment être des fauteurs de TRouBLe.
En gros, le Molimo, c’est un peu comme Mardi Gras, le Carnaval ou Pourim. Cette CéRéMoNie est très riche, mais elle fonctionne clairement comme une CaThaRsis (KaṬaRsis) permettant d’évacuer les TeNSions SoCiales qui BouiLLonnent toujours au sein d’un groupe et MeNaCent sa survie. Car l’oRDRe social est toujours susceptible d’être ReNVeRSé. Et l’auToRité peut toujours être SuBVeRTie, du latin SuBVeRTo, toujours de notre hyper polysémique VeRTo/VeRSo, qui donne aussi oBVeRTo, se tourner ConTRe, ou PeRVeRTo, renverser, CoRRomPre, PeRVeRTir.
Et au Paléolithique Supérieur, avec la complexification des sociétés, des RéVoLTes il y en eut beaucoup, au fur et à mesure que s’accentuaient les inéGaLités – jusqu’à l’avènement du Néolithique. En grec, la STaSis c’est aussi l’action de se dresser contre, de s'oPPoSer, la CoNTeSTation, le désaccord, la DiViSion politique, la RiVaLité entre deux personnages, la SéDition et le SouLèVement – RiSe up !.STaSiasô c’est se révolter, se ReBeLLer – d’où provient l’aPoSTaSie aPoSTaSis.
En hébreu, on retrouve aussi notre hyper-polysémique NaSaʔ avec ce même sens de se « SouLeVer », en particulier dans Daniel 11.14 ou dans Habacuc 1.3 « Pourquoi me fais-tu voir l'iniQuiTé, Et contemples-tu l'inJuSTiCe? Pourquoi l'oPPReSSion et la VioLence sont-elles devant moi? Il y a des querelles, et la discorde s'élève NaSaʔ. »
Et lorsque l’organisation sociale se DéSaGRèGe, c’est l’aNaRChie, il ne reste plus que des bandes de PiLLards, ShoʔaṢ meShuwṢah meShiṢah ShaṢaṢ ShaṢah piller, pillards, DéPouiLLer, dépouilles (beaucoup dans Isaïe bien sûr) – que les Egyptiens appelaient les fameux ShASuW, ces tribus nomades du Levant de langue « sémite » qui pillaient le Royaume.
Bref, comme vous pouvez le constater, on retrouve encore une fois cette formidable capacité qu’à « Sha » de vouloir tout dire et son contraire : nous sommes passés de l’amour à la guerre et de la stabilité au désordre. Mais là où le sexe jouait sur la complémentarité des contraires, ce que l’on voit apparaître ici c’est une dynamique oSCiLLant entre deux éTaTs : de la CoNSTRuCtion du camp à sa DeSTRuCtion.