Logo

Réjouir le cœur de Dieu sur son Trône

[Sources][Video]

Depuis, ce Dieu qui s’est retiré au Ciel n’est pas inactif, il surveille et punit les pêcheurs et les adultères en les frappant de la foudre, en envoyant des tempêtes qui déracinent les arbres et en envoyant les bêtes sauvages comme l’exprimait un informateur de Schebesta (P61) – et qui fait bien sûr écho au Dieu Vengeur de la Bible. Mais quoi qu’il arrive, « Dieu l'a voulu. Si Dieu l'a voulu ainsi, c'est qu'il avait ses raisons. On ne juge pas Dieu  » pour reprendre les mots d’un informateur d’Henri Trilles.

Les Pygmées savent comment entrer en relation avec ce Dieu Vengeur : il suffit de chanter et danser (P17) :

 Mes amis Efé expliquent que leurs danses plaisent à Dieu : il veille depuis son grand trône céleste et est ainsi inspiré à soutenir tout être vivant sur notre planète.

Cette même idée d’un Dieu assis sur son trône qu’on fait tout pour réjouir est exprimée par le pharaon Pépi Ier, dans l’inscription qui lui est attribuée où l’on peut lire « le Pygmée qui danse comme le dieu et qui réjouit son cœur devant son grand trône  ». On la retrouve aussi bien sûr au cœur du Coran:

 C’est Lui qui a créé les cieux et la terre en six jours puis Il S’est établi sur le Trône. Sourate Al Hadid 57.4

Mais pour réjouir Dieu, il ne suffit pas de danser. Dieu aime les sacrifices, que les pygmées pratiquent aussi (P23):

 Quelle que soit leur faim, les chasseurs pygmées ramènent le gibier au campement où il est partagé entre les membres de la bande. C'est l'une des lois que la divinité a transmises à sa congrégation de la forêt d'Ituri. La viande n'est pas consommée avant que les Pygmées aient prononcé leur propre bénédicité : une brève prière est entonnée tandis qu'un petit morceau de viande est soit jeté en l'air (vers le ciel, la demeure traditionnelle de « Notre Père  »), soit enveloppé dans une feuille et placé dans la fourche d'un arbre (un acte qui fait également surgir l'offrande de terre). Ce geste de remerciement indique à la divinité que les Pygmées ne considèrent pas la nourriture et ses autres bénédictions comme acquises.

Outre que ces bénédictions avant le repas font écho à celles qu’on retrouve dans de nombreuses religions – cette idée de balancement en l’air d’une offrande sacrificielle est expressément mentionnée dans le Lévitique:

 Parle aux enfants d’Israël en ces termes : Celui qui fait hommage de son sacrifice rémunératoire au Seigneur doit lui présenter son offrande, prélevée sur la victime rémunératoire. Ses propres mains présenteront les offrandes destinées à l’Éternel : la graisse, qu’il posera sur la poitrine, la poitrine, pour en opérer le balancement devant l’Éternel. Lévitique 7.29

Si l'obscurité est, l'obscurité est bonne

[Sources][Video]

Jean-Pierre Hallet voit un autre parallèle entre tradition biblique et mythologie Pygmée, c’est qu’« ils prétendent avoir reçu personnellement de cette divinité ostensiblement barbare un code moral élevé qui interdit le meurtre, le mensonge, le vol, le blasphème, l'adultère, le culte du diable ou la sorcellerie, le manque de respect envers les personnes âgées et toute autre forme de comportement antisocial ou immoral  » (P18). Malgré son racisme colonial belge, Schebesta notait déjà le caractère remarquable de la religion des Pygmées, très peu empreinte de superstition et d'irrationnel ou de pensées magiques (P58) :

 la croyance en une divinité suprême est d'un rationalisme prononcé. Son origine réside dans la pensée causale et dans le raisonnement de ce petit peuple à l'esprit vif… Une preuve frappante de la souplesse d'esprit des Pygmées est leur don pour les langues. Si leurs relations avec leurs voisins le nécessitent, ils parlent jusqu'à cinq langues différentes… La croyance des Pygmées de la forêt de l'Ituri en une divinité unique, cause finale de toutes choses et puissance dirigeante du monde, reste inexpliquée… Leur structure mentale fait d'eux, au cœur de la forêt vierge africaine, un phénomène humain absolument unique.

Ce « bon sens  » Pygmée apparaît de façon éclatante dans un entretien entre Henri Trilles et un de ses informateurs :

 TRILLES : On m'a dit que pour vous, le soleil qui nous éclaire, c'est Dieu. PYGMEE : Vous autres frères Blancs le croyez peut-être. Mais nous autres, non, jamais. TRILLES : Mais le soleil est bon. Il fait pousser les arbres. Il donne la vie. PYGMEE : Le soleil c’est le soleil. Dieu c’est Dieu. Avant le soleil, il y avait Dieu. Toi, Homme Blanc, si tu crois le contraire, c'est ton affaire. Tous les poissons ne nagent pas vers le même rivage. L'oiseau raha vole jusqu'au sommet des arbres. L'oryctérope creuse la terre en dessous. Nous, c’est nous. Vous, c’est vous.

Oui, tout comme nous le dit le Coran, Sourate (10.41) « Et s’ils te traitent de menteur, dis alors: « A moi mon œuvre, et à vous la vôtre. Vous êtes irresponsables de ce que je fais et je suis irresponsable de ce que vous faites ».

De leur côté Jean-Pierre Hallet et Alex Pelle notent que, contrairement à leurs voisins (P15), les Pygmées « méprisent les craintes des tribus noires locales face aux mauvais esprits ». « Si l'obscurité est, l'obscurité est bonne », selon un dicton pygmée populaire. « Celui qui a créé la lumière a aussi créé l'obscurité ».

Les Pygmées déplorent les figurines magico-religieuses et autres prétendus fétiches des Noirs, les qualifiant d'absurdités superstitieuses. Ils verraient d'un mauvais œil les huttes d'église ornées de statues de Jésus et de Marie ressemblant à des poupées. Cela serait considéré comme un culte des idoles par les Pygmées de la forêt de l'Ituri, qui croient que la puissance divine de l'univers ne peut être confinée dans des limites matérielles.

Les auteurs de l'Ancien Testament hébreu seraient certainement d'accord, car ils observaient le célèbre commandement interdisant les « images taillées » ou « idoles  ». Oui Jean-Pierre Hallet et Alex Pelle aussi voient de nombreux parallèles entre Bible et Pygmées.

6) Le Paradis des Origines

Bon, récapitulons. Même si l’Afrique c’est compliqué, et même si tous les témoignages doivent être pris avec beaucoup de pincettes, en ayant notamment à l’esprit le colonialisme brutal du 19e siècle, la culture et les mythes Pygmées partagent de nombreux traits avec ce que nous pouvons trouver dans la Bible. Je vous ai aussi expliqué pourquoi selon moi, derrière l’histoire de l’Exode et de la Sortie d’Égypte, se cachent en fait le souvenir archaïque de la Sortie d’Afrique – ainsi que de l’oppression qui y régnait. Et il existe donc une continuité culturelle qui part de la Forêt Équatoriale des Grands Lacs, la corne d’Afrique et l’Éthiopie, jusqu’à l’Arabie et au Levant – qui retrace le cheminement d’Homo Sapiens hors de son berceau en Afrique de l’Est.