En attendant, les pygmées réjouissaient peut-être « le cœur du dieu » en Egypte, mais pas celui de leurs voisins. Car oui, les Pygmées sont un peuple opprimé de longue date. Tous les observateurs ont noté les relations conflictuelles qu’ils entretiennent avec les villageois qui vivent autour d’eux, plutôt grands et noirs de peau, alors qu’eux sont petits et ont généralement la peau plus claire. Les Pygmées Efe ont ainsi été persécutés tant par les Tutsi que les Huti dans la région du Rwanda et du Burundi – avec même des pratiques de rapt et de cannibalisme, décrites de façon assez terribles par Jean-Pierre Hallet et Alex Pelle (P21).
Dans la même veine, en Afrique du Sud cette fois, un autre peuple de petite taille a longtemps subi une oppression similaire – ce sont les Bushmen d’Afrique du Sud – eux aussi considérés comme des « animaux nuisibles » par les Bantus, comme le rapporte Bleek Lloyd dans son ouvrage Specimens of Bushman Folklore paru en 1911 Intro (P29) – et « bien que les jeunes filles soient généralement épargnées et intégrées aux tribus de leurs ravisseurs pour mener une vie de corvée et de honte, tous ceux qui pouvaient être piégés ou traqués étaient tués avec aussi peu de pitié que s'il s'agissait de hyènes ». Passage qui évoque ce par quoi le livre de l’Exode commence :
Pharaon donna l’ordre suivant à tout son peuple : « Tout mâle nouveau-né, jetez-le dans le fleuve et toute fille laissez-la vivre ». Exode 1.22
« À la frontière des colonies hottentotes et bantoues, il y avait donc des conflits constants avec l'ancienne race – les Bushmen -, mais loin de cette frontière, les Bushmen poursuivaient leur chasse et buvaient les eaux que leurs ancêtres buvaient depuis des temps immémoriaux, sans même savoir qu'il existait des hommes différents d'eux dans le monde » Intro (P30), poursuit Bleek Lloyd qui conclut d’ailleurs lui aussi sur une citation de la Bible, en décrivant la réduction progressive du territoire des Bushman sous la pression de la colonisation Bantu :
La main de tous les hommes était levée contre eux – Genèse (16.12), et ils disparurent, mais ils périrent jusqu'au dernier les armes à la main, refusant tout compromis.
Avec cette phrase terrible, déjà en 1911 : « Il n'y a plus de place sur le globe pour l'homme paléolithique ».
De ce point de vue, la description que fait Colin Turnbull dans The Forest People est beaucoup plus « soft », les relations entre Pygmées et Villageois sont marquées par une certaine ambivalence mêlant certes domination, mais aussi indépendance voire fascination (P172). Parce qu’ils vivent dans la Forêt, les Pygmées y sont en effet reconnus comme ayant accès à ses mystères et ses secrets (P228). Colin Turnbull décrit aussi le rituel de la circoncision (P218/226) organisée par les villageois pour sceller l’alliance entre les jeunes villageois et les jeunes pygmées à chaque génération. Ce rituel – Nkumbi - évoque évidemment la circoncision que les enfants de Jacob imposèrent aux habitants de ShKheM avant de les passer par le fil de l’épée, dans l’histoire du rapt et du viol de Dinah de la Genèse (34).
Colin Turnbull décrit bien comment les Pygmées se plient à ce rituel sans y accorder trop d’intérêt – et comment, surtout, l’exploité n’est parfois pas celui qu’on croit. C’est ainsi qu’on voit les Pygmées à de nombreuses reprises obtenir des Villageois des récompenses ou des prix en contrepartie de prestations dont ils ne verront jamais la couleur. Cela évoque un peu notre rapport aux gitans en Europe – eux aussi chantent, dansent, sont un peuple fier, souvent de plus petite taille, et exploitent la crédulité des sédentaires que nous sommes. Ces relations ambivalentes permettent d’ailleurs de mieux comprendre ce passage étrange de l’Exode, lorsque les enfants d’Israël s’apprêtent à fuir l'Égypte - le texte raconte comment l’Éternel:
... inspirera aux Égyptiens de la bienveillance pour ce peuple ; si bien que, lorsque vous partirez, vous ne partirez point les mains vides. Chaque femme demandera à sa voisine, à l’habitante de sa maison, des vases d’argent, des vases d’or, des parures ; vous en couvrirez vos fils et vos filles et vous dépouillerez l’Égypte. Exode 3.21
Ces parallèles entre la Bible et la culture Pygmée, marquée par les persécutions et l’oppression, mais aussi par une certaine sournoiserie, évoquent enfin le souvenir de l’Égypte comme terre d’esclavage et d’oppression.
Je suis l'Eternel, ton Dieu, qui t'ai fait sortir du pays d'Egypte, de la maison de servitude. Exode 20.2
C’est un véritable leitmotiv qui revient à de très nombreuses reprises. Le nom même de l’Égypte, MiTsRayim, évoque la souffrance et l’oppression TsaRa.
Selon moi, tous ces éléments plaident pour un souvenir archaïque d’une oppression en Afrique – la traversée de la Mer Rouge ayant été vécue comme une libération. Et ce, dès les Temps Paléolithiques. Il y a des dizaines de milliers d’années de cela. Nous connaissons d’ailleurs un exemple bien plus récent d’un mythe d’une terre promise libérée de l’oppression. Non, je ne veux pas vous parler du Sionisme. Dieu m’en préserve. Je veux vous parler de la colonisation Européenne du continent Nord-Américain. Les « Pères Fondateurs » eux-aussi se voyaient refonder une nouvelle humanité loin des régimes oppresseurs d’Europe – pour finalement opprimer et génocider leurs frères Rouges. C’est que voyez-vous, il n’y a jamais rien eu de nouveau sous le soleil – en particulier en matière de génocide. On a toujours fait du neuf avec du vieux. Du très, très vieux.
Mais reprenons à présent notre étude de Pigmy Kitabu. Jean-Pierre Hallet et Alex Pelle nous y apprennent que les Pygmées Efe croient eux-aussi en un Dieu Suprême unique (P14) qu’ils appellent « Notre Père » (P18) – c’était d’ailleurs ça qui avait attisé ma curiosité pour la culture Pygmée. Cette idée d’un monothéisme Pygmée avait déjà été notée par Schebesta dans son ouvrage paru en 1952.
Alors bien sûr, ces imbéciles de Pharisiens vous diront que ces ressemblances ne sont que la trace d’un « emprunt à la civilisation occidentale » ou « judéo-chrétienne », qui seule aurait le monopole du monothéisme. Alors, je rappelle à toutes fins utiles que jusqu’à ce qu’ils soient (Re)découverts en 1870 par l’explorateur allemand Georg Schweinfurth, les Pygmées avaient été coupés de tout échange avec la « civilisation » depuis cette fameuse « découverte » par Herkhuf, l’explorateur de l’Egypte Antique – soit pendant une durée de près de 4000 ans. Enfin, pour être honnête c’est plutôt Jean-Pierre Hallet et Alex Pelle qui le rappellent (P13). Quoi qu’il en soit, il est donc important que vous ayez à l’esprit que toutes les ressemblances frappantes que nous allons (Re)découvrir ensemble dans quelques instant, prédatent donc bien la « civilisation occidentale » telle que nous la connaissons.
Ce petit préambule étant posé, revenons donc à Dieu le Père à présent. Les Pygmées Efe racontent qu’il serait monté au Ciel après avoir été volé par les hommes (P52) ou parce que ceux-ci ne l’écoutaient plus (P121). Ce départ de Dieu aurait sonné la fin de l’Age d’Or où les hommes étaient immortels, les femmes accouchaient sans douleurs (P54), et tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes (P53). Jean Pierre Hallet cite « L'Âme du Pygmée d'Afrique », ouvrage d’Henri Trilles paru en 1945 qui avait recueilli ces paroles:
Dieu est loin. Il nous a abandonnés, et c'est pourquoi nous sommes devenus pauvres et misérables. Bien des jours ont passé. Nous sommes la nation errante.
Schebesta raconte lui que Dieu a quitté les hommes et est monté au Ciel parce que sa fille, humaine et donc curieuse, transgressa autrefois son commandement de ne pas tenter de le voir (P158). Ceci évoque le récit de Ham, le fils de Noé qui surprend son père en train de dormir nu et qui fut maudit pour celà, Genèse (9.22). Mais cette histoire évoque surtout cette idée qui revient souvent que « personne n’a jamais vu dieu », tant dans l’Évangile de Jean, que, surtout, dans l’Ancien Testament, comme par exemple lorsque Dieu dit à Moïse de se retourner car:
Tu ne saurais voir ma face ; car nul homme ne peut me voir et vivre. Exode 33.20
Ou comme dans le Coran :
Et lorsque Moïse vint à Notre rendez-vous et que son Seigneur lui eut parlé, il dit: « O mon Seigneur, montre Toi à moi pour que je Te voie! » Il dit: « Tu ne Me verras pas; mais regarde le Mont: s’il tient en sa place, alors tu Me verras. » Mais lorsque son Seigneur Se manifesta au Mont, Il le pulvérisa, et Moïse s’effondra foudroyé. Sourate Al Araf 7.143
Oui, comme dans le mythe Pygmée, voir Dieu c’est mortel.