Bon, comme toujours, pour comprendre la culture Paléolithique, il faut repartir d’ici et maintenant, car oui, même si nous ne nous en rendons pas compte, nous sommes toujours à l’âge de pierre - en particulier dans le monde de l’entreprise. Michel Berger l’avait d’ailleurs bien senti quand il a composé sa magnifique chanson « le monde est stone ».
Et une entreprise donc, c’est d’abord et avant tout des hommes et des femmes qui coopèrent. Et une question cruciale pour les dirigeants, en particulier des grandes entreprises, est d’identifier la répartition optimale de leurs personnels, et plus généralement de leurs ressources, au sein d’équipes, de groupes, de divisions – afin de faciliter cette coopération. Voilà pourquoi chaque année, on restructure, on coupe, on fusionne des équipes – parfois même des divisions ou des filiales entières.
Bien sûr, il n’y a pas que les équipes et les personnels qui doivent être bien répartis et partagés dans l’entreprise, il y a aussi, voire surtout, la valeur ajoutée. Cette question du partage de la valeur ajoutée obsède les économistes et les politiques depuis des siècles - mais on la retrouve en fait à plus petite échelle dans chaque entreprise, dans ce qu’on appelle les plans d’intéressement et de commissionnement, que les dirigeants élaborent pour motiver et intéresser leurs salariés, en particulier dans les fonctions commerciales.
Et tous les dirigeants qui ont été un jour confrontés à l’élaboration d’un plan de commissionnement savent à quel point il est compliqué de trouver les bonnes formules permettant de calculer les primes et les commissions. Il faut bien sûr qu’elles soient incitatives, mais pas trop – et surtout, il faut faire attention aux effets pervers comme par exemple les effets de seuil. Les hauts fonctionnaires du Ministère des Finances rencontrent d’ailleurs les mêmes problèmes pour élaborer les règles de calcul de nos impôts. Bref, partager la valeur c’est très compliqué au quotidien.
Que l’acte de couper et trancher soit tellement crucial dans l’entreprise n’a en fait rien d’étonnant. Car couper et trancher est très important pour les hominidés depuis des millions d’années. Encore aujourd’hui, une des premières choses que nous apprenons dès que nous savons lire et écrire, c’est d’organiser nos idées en les regroupant dans des parties et sous-parties - que ce soit dans le cadre d’une rédaction, d’une dissertation, d’une présentation professionnelle, ou même d’une vidéo YouTube. Je passe en effet presque autant de temps à collecter des idées en vrac, qu’à les trier et les organiser dans mes projets de vidéos.
Trouver les bonnes parties, les bons enchaînements est crucial pour rendre compréhensible des sujets très complexes. Voilà aussi pourquoi composer un chant, ou une rhapsodie c’est comme accrocher des bouts de chants les uns après les autres, comme dans une chaîne, « ShaRShaR » en hébreu comme je vous l’expliquais dans ma vidéo sur l’oralité.
Et donc évidemment, on retrouve cet acte de trancher dans beaucoup de rituels d’alliance et d’engagement – qui structurent la coopération. En particulier dans la Genèse, chapitre 15, verset 9, dans le passage de la fameuse alliance des parties ou dans le livre de Jérémie, chapitre 34, verset 18 – ou bien sûr aussi chez les Grecs chez qui jurer se disait oRKia TeMNein « trancher un serment », et qui connaissaient aussi la pratique de passer entre les parties d’un animal qui avait été découpé en morceaux.
Mais tout ceci n’est pas nouveau pour vous, je vous en ai largement parlé dans ma vidéo sur l’« Alliance du Partage ». Ce qui est nouveau c’est que vous allez voir que nous prononçons chaque jour des milliers de fois sans même nous en rendre compte le mot archaïque qui incarnait le partage pour nos ancêtres au Paléolithique. Et ce mot, c’est « Ta Ra ».
Mais avant de plonger dans l’univers de « Ta Ra », permettez-moi de revenir quelques minutes sur le son « Ra » que nous avons étudié dans ma dernière vidéo. Rappelez-vous, je vous y expliquais que ce son était probablement le plus archaïque d’entre tous car on le retrouvait dans tous les champs sémantiques ayant trait à la communication – que ce soit celui de la perception, de l’émission, du medium, de la séparation spatiale et temporelle et bien sûr du partage. C’était une longue vidéo. Je pensais bien avoir fait le tour de la question, mais je suis quand même passé à côté de plusieurs éléments très importants.
Tout d’abord, j’aurais dû vous mentionner que le suffixe -Re était très utilisé pour les termes de PaRenté dans les langues indo-européennes. SœuR, FRèRe, PèRe, MèRe. Que l’on retrouve en grec et latin : PaTeR, MaTeR. En fait, dans ces langues, le suffixe en -Re est lié à l’idée des hommes ViR en latin, « aRya » dans les langues indo-iraniennes et que l’on retrouve dans le nom de l’Iran. Un homme c’est un être qui parle.
Ensuite, je vous avais parlé de Ruo, d’où vient notre « Ruer » en français qui exprime l’idée d’un mouvement violent, ou même le RuT des animaux. Mais j’étais passé à côté de uRo qui signifie BRûLer mais surtout de ReoR qui signifie penser et que nous allons retrouver dans quelques instants. Une pensée c’est quelque chose qui jaillit dans la tête de nulle part.
Et pour revenir sur le suffixe -eR, on le retrouve en anglais dans les comparatifs MoRe, BeTTeR – en référence à cette idée de puissance - PoWeR !. Ce qui est intéressant avec l’anglais, c’est que les superlatifs prennent eux une forme en -ST : MoST, BeST. On retrouve là nos trois sons fondamentaux Ra, Sha et Ta avec lesquels j’ai choisi de commencer mon cours de linguistique paléolithique. Et vous allez voir qu’on les retrouve souvent ensemble ces trois compères.
Mais ce n’est pas tout : j’avais complètement omis uRus l’auRoCh – l’ancêtre de notre TauReau – cet animal symbole de puissance par excellence, que nos ancêtres dessinaient déjà il y a 20'000 ans à Lascaux - un comble pour un expert du Paléolithique !
Et enfin je ne vous ai pas parlé de iéRos, très important en grec qui signifie le surnaturel, le divin, le SaCRé – d’où provient par exemple hiéRaRChie, hiéRoGLyPhe ou même le prénom Jérôme, ou Géronimo – littéralement le nom sacré. Mais à l’origine, en particulier dans l’œuvre d’Homère, oMèRoS, iéRos ça n’est pas le sacré, c’est le RaPiDe, le puissant. Bref, tous ces termes nous ramènent à la puissance du son qui jaillit – tout comme celle de l’amour éRos, que rien n’arrête.
Mais le plus grave, c’est que je suis passé complètement à côté d’une culture très importante pour notre compréhension des origines du langage au Paléolithique. Cette culture c’est … l’Egypte Antique. Oui, oui, vous m’avez bien entendu, l’Egypte Antique.
Bon, j’avais bien identifié que le dieu RO était rattaché au soleil symbole d’une puissance jaillissante, que les Egyptiens représentaient avec des RaYons sous forme de TRaiTs. Mais j’aurais alors dû creuser beaucoup plus les hiéroglyphes. Car figurez-vous que le son « Ra » est justement représenté sous la forme d’une bouche avec un trait. On retrouve là exactement un même ensemble sémantique regroupant le trait, le RaYé, et la puissance du son. Et en plus non seulement ce hiéroglyphe signifie la bouche et l’ouVeRture, mais il signifie aussi … une PaRT. C’est quand même dingue non, vous ne trouvez pas ? En tout cas moi ça m’impressionne.
Bref, le hiéroglyphe signifiant le dieu du soleil RO, s’écrit en composant le hiéroglyphe correspondant au son « Ra » avec un soleil, et à une main qui donne – cette fameuse main que l’on voit parfois dessinée au bout des rayons du soleil. Et on retrouve donc le son « Ra » dans de nombreux mots égyptiens exprimant la GRaNDeur et la puissance, comme WeR, ou la montée, l’aPPaRition et la DiSPaRition. C’est à dire le même type de rapport sémantique entre iéRos chez les grecs, et oRioR chez les Romains, d’où provient notre oRiGiNe et notre oRieNT.
Un autre hiéroglype fondamental maintenant, c’est IRI, qui a la forme d’un œil (rappelez-vous Raʔah en hébreu et oRao en grec). Cet œil ressemble d’ailleurs beaucoup à la bouche du son « Ra », mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, il ne signifie pas voir, mais faire, agir, concevoir. L’œil en revanche s’écrit IReT où on retrouve notre œil et notre trait, avec un petit pain pour le son Ta, sur lequel on reviendra bientôt.
Et pour revenir sur IRI, ce hiéroglyphe exprime que chez les Egyptiens dont la culture était écrite depuis des millénaires, faire, concevoir, créer c’était d’abord quelque chose de visuel. On retrouve cette idée dans les hiéroglyphes YWuR qui signifie concevoir (en particulier un enfant), YRuW qui signifie le CRéateur, la FoRMe, et le RiTueL – rappelez-vous le rituel c’est toujours une « Bonne Forme », je vous en ai longuement parlé l’année dernière.
Le son « Ra », on le retrouve aussi dans ReK, qui signifie l’èRe – une PéRioDe de temps. On le retrouve aussi pour le lion, RuW, et pour l’oie RA deux animaux qui font beaucoup de BRuiT. Enfin, pour terminer, et revenir à notre sujet du jour, à savoir TRaNCher et couper, un couteau se dit IRY et surtout « deux TieRS » se dit RuWI, qui s’écrit avec une bouche et deux traits.
Bref, si vous avez vu ma dernière vidéo, on retrouve exactement les mêmes champs sémantiques associés au son « Ra » en égyptien, en hébreu, en grec et en latin – et cette même polysémie du trait comme symbole du son, de la lumière ou du partage. Mais ce rapprochement avec l’Egyptien antique est encore plus intéressant qu’il n’y paraît. Car comme vous le verrez dans cete vidéo et les suivantes – il n’y a en fait qu’avec le son « Ra » que ce rapprochement sémantique est aussi flagrant.
Et ceci est donc un indicateur fort de l’archaïsme du son « Ra » qui remonte selon moi avant même l’émergence de notre espèce Homo Sapiens et que partageaient probablement nos cousins disparus, l’homme de Néandertal et Homo Heidelbergensis. Mais on reviendra bientôt sur ces questions de chronologie. En tout cas, Roger Lécureux et André Chéret étaient bien inspirés quand ils donnèrent le nom de « Rahan » à leur HéRos, le fils des âges FaRouChes. Ra Ha. RuwaḤ.