Alors vous allez me dire, OK on voit le rapport entre les institutions, le festin et la pourriture, mais quel rapport avec mon introduction sur l’assemblage et la fragmentation, la centralisation et la décentralisation – et, surtout, quel rapport avec le sens du pieu qu’on a vu dans la vidéo précédente.
Comment ? Mais vous n’avez pas encore fait le rapprochement ? Mais la solution elle est devant vos yeux depuis le début. Allez, je vous laisse quelques instants pour exercer vos talents d’observation.
Toujours pas ? Mais la clef de « ShaTa » c’est la CaBaNe. Oui, la cabane de ṢuKowt. Comment ? Vous ne connaissez pas ṢuKowt ? ṢuKowt, la FêTe des cabanes qui vient de se terminer, ça ne vous dit rien ? Mais enfin, ṢuKowt, c’est LA fête par excellence. Dieu sait que le calendrier juif regorge de fêtes, mais s’il ne devait en rester qu’une, ce serait évidemment ṢuKowt. Car ṢuKowt, c’est bien sûr LA fête du Paléolithique, celle durant laquelle nous nous souvenons de nos ancêtres qui vivaient et dormaient dans des cabanes.
Vous ne voyez toujours pas le rapport ? Bon, rappelez-vous, je vous en ai déjà parlé dans ma vidéo sur l’Ere d’Abondance et la Révolution Néolithique. Notre espèce ne s’est que très progressivement SéDentarisée. Même au début de la Révolution Néolithique, nos ancêtres ne se ReGRouPaient que temporairement, durant la SaiSoN des réCoLTes. Le reste du temps, ils vivaient en petits groupes dispersés sur des territoires immenses.
On estime par exemple qu’il y a environ 400'000 ans, il n’y avait qu’entre 13'000 et 25'000 hommes de Néandertal dans toute l’Europe de l’Ouest. Et même après l’arrivée d’Homo Sapiens, cette densité est restée faible jusqu’à la toute fin du Paléolithique, puisqu’on estime qu’il n’y avait qu’environ 6'600 personnes dans toute l’Europe il y a à peine 12'000 ans.
Il faut bien comprendre ce rapport à l’espace : l’Europe était vide d’hommes et pleine d’animaux, et les quelques hommes et femmes qui y vivaient se connaissaient quasiment tous. C’est assez dingue à imaginer, mais c’est pourtant la vérité – même si les stupides linguistes Pharisiens vous soutiendront mordicus que ces 6600 personnes parlaient tous des langues différentes. Pff … Et donc, pour conserver des LieNs malgré ces immenses DiSTances, ils se regroupaient à intervalles réguliers à l’occasion de FêTes, dans des CaBaNes, dans lesquelles ils vivaient pendant la mauvaise saison.
Mais il faut bien avoir en tête que pendant des dizaines de milliers d’années, ce rapport à la sédentarisation était ambivalente: il y avait certes l’attrait de se regrouper et de vivre des choses ensemble, mais d’un autre côté, la vie en CoMMuNauté était assez pénible, et les conflits fréquents, et surtout, tout devenait assez vite SaLe. Cette ambivalence est restée au cœur du langage comme on vient de le voir avec les champs sémantiques du festin et de la saleté. Ce qui explique pourquoi l’iMMoBiLe est sale, comme par exemple les eaux STaGNantes, de STaGNo en latin.
D’ailleurs, on dit encore aujourd’hui PLaNTer le CaMP et FouTRe le camp. Un camp, ça se plante, « ShaTa », mais un camp, ça se fout aussi, « ShaTa » encore. Pendant des centaines de milliers d’années, l’aiR, le VeNT c’était ça la vraie vie. Et quand les beaux jours revenaient, à l’éQuiNoXe de PRinTeMPs, l’appel du grand air était irrépressible. Cet appel du grand air explique pourquoi c’est au printemps qu’on fait ce qu’on appelle le ménage de Pâques, le ménage de printemps. Cette opposition entre l’air qui purifie, « Ra », et la saleté immobile, « ShaTa » est d’ailleurs un autre exemple de cette oPPoSition fondamentale entre « Ra » et « ShaTa » dont je vous ai déjà parlé dans ma dernière vidéo.
« ShaTa » c’est donc l’histoire de la sédentarisation progressive mais surtout ambivalente de l’humanité. Une histoire qui date de deux millions d’années, depuis que nos ancêtres ont commencé à eRRer dans la SaVaNe. Une histoire qui commence avec SeT, le troisième fils d’ʔaDaM, le premier homme dans la Bible, qui naît après le meurtre d’HaBeL par son frère QayiN – SeT dont la génération fut la première où l’on commença à invoquer le nom de l’Eternel, comme l’écrit la Bible dans la Genèse au chapitre 4, verset 26.
Cette notion de sédentarité incarnée par « ShaTa », on la retrouve en anglais dans STay, qui signifie à la fois tenir bon, être DReSSé, mais aussi ReSTer à un endroit, mais surtout dans SeTTLe, le mot de la sédentarisation, qui signifie véritablement « établir sa RéSiDence » et qui est apparenté à eSTal en vieux français, qu’on retrouve dans PieDeSTal. Pour ceux qui connaissent un peu le Yiddish, je ne peux pas ne mentionner le Shtetl, ce village mythique des communautés juives d’Europe de l’Est disparues dans l’Holocauste.
En grec, on retrouve « ShaTa » dans aSTu, la ViLLe, dans STaṬmos, l’éTaBLe, le PoSTe, l’aRRêT, l’héBeRGement, mais aussi, ce qui est très intéressant, avec le sens de BaLanCe, ou d’éQuiLiBRe entre 2 éTaTs – réminiscence de cette ambivalence et de cette aLTeRNance SaiSoNNière entre MoDe de vie MoBiLe et SéDentaire. On le retrouve aussi dans STeP en anglais, l’éTaPe, qui provient de STaPes, l’éTRier, là où RePoSe le PieD. Ce pied qui s’eNFoNCe dans le SoL quand on fait un PaS, STéiBô en grec.
Et vous comprenez maintenant pourquoi on retrouve « ShaTa » dans la CoMMeNSalité du FeSTin. Car ces reGRouPements étaient toujours l’occasion de grandes FêTes, souvenir des grandes ChaSSes, en particulier celle du Mamouth, où on iNViTait les groupes VoiSiNs à PaRTaGer la chasse miraculeuse.
En fait pendant des centaines de milliers d’années, nos ancêtres avaient tous le même rêve : celui de vivre une vie ConFoRTable, iMMoBiLe, où la NouRRiture serait à portée de mains. Le PaRaDiS quoi ! Ce rêve on en retrouve des traces dans le Coran, ce grand texte provenant d’une culture alors encore fortement empreinte de NoMaDisme, en particulier dans la description du Paradis, GaN!at en arabe, dans la sourate 88, Al ĠaʔShyat, l’enveloppante, dans les versets 8 à 16 :
« Ce jour-là, il y aura des visages épanouis, contents de leurs efforts, dans un haut JaRDiN, où ils n'entendent aucune futilité. Là, il y aura une SouRCe CouLante. Là, des DiVans élevés et des CouPes PoSées et des CouSSins RaNGés et des TaPiS éTaLés. »
« Là tout n’est qu’oRDRe et Beauté, luxe, calme et volupté » comme le chantait si bien Beaudelaire – à l’inverse de la vie haRaSSante du NoMaDe. Comme le dit Jacqueline Chabbi, la grande anthropologue de l’Islam, dans son ouvrage « Les trois piliers de l’Islam »:
« C’est en effet un véritable élixir de SéDentarité qui est promis à ceux qui sont admis dans la GaN!at pour avoir rempli leurs obligations de solidarité en ce monde. Le SéJouR des élus s'y caractérise par une totale absence de DéPLaCement. Elle offre donc un violent ConTRaSTe avec ce qu'avait été leur vie terrestre, tout entière marquée par la nécessité de trouver une bonne GuiDance. Cette fonction terrestre vitale qui faisait figure de hantise de tous les instants s'efface ainsi totalement au Paradis, comme si les hommes qui y étaient accueillis étaient arrivés à un PoiNT de DeSTiNation définitif et qu'ils n'avaient donc plus besoin d'être constamment en QuêTe d'une DiReCTion à SuiVre. On est comme en présence d'une totale disparition de ce qui sur terre avait été marqué par un RiSQue majeur encouru. La GaN!at paradisiaque est donc un Lieu de RePoS au sens fort du terme. »
Et vous comprenez pourquoi on l’attendait très fort le mois de TiShRy, le SePTième mois au Paléolithique : c’était le mois de la fête, du repos, de la SaTiéTé. Vous comprenez aussi pourquoi dans la Torah, la septième année est non seulement celle de la ShMyṬah, de la JaChèRe, l’année du repos de la terre, mais surtout celle du haQheL, du grand raSSeMBLement, que Moise instaure au Deutéronome, chapitre 31 verset 10, et qui devait commencer juste après la fin de ṢuKowt, je vous lis : « A la fin de chaque septième année, à l'époque de la ShMyṬah », l’année de jachère donc, « lors de la fête de ṢuKowt, alors que tout Israël vient comparaître devant l'Éternel, ton Dieu, dans l'eNDRoiT qu'il aura élu, tu feras lecture de cette DoCTRine en présence de tout Israël, qui écoutera attentivement. »
Et vous comprenez aussi pourquoi, enfin, ṢuKowt, la fête des CaBaNes, est appelée ḤaG haʔaṢiF, la fête du rassemblement. Car ṢuKowt, avant d’être le moment où on rentrait les MoiSSons dans les GReNiers pour PaSSer la mauvaise SaiSoN, était le moment où les familles se retrouvaient après avoir passé la belle saison éloignées les unes des autres.
D’ailleurs, en parlant de MoiSSons et de GReNiers, comme je vous l’expliquais dans ma vidéo sur l’Ere d’Abondance et la Révolution Néolithique, la SéDentarisation s’est toujours accompagnée d’une forme de SToCkage, même temporaire. Voilà pourquoi on retrouve « ShaTa » dans SToRe, du vieux français eSToRer, qui signifie stocker.
Durant la bonne SaiSoN, une partie de la viande ou de la pêche était progressivement ConSeRVée, en particulier en la FûMant, et celle-ci était stockée pour PaSSer la mauvaise saison. Cette aLTeRNance saisonnière est particulièrement bien mise en évidence dans le Coran toujours, dans la sourate 94 As ShaRḤ, l’ouverture, qui répète deux fois « Après DiSeTTe aBoNDance ».
Ce passage par eSToRer, me permet de revenir sur ReSTauRer. « Restaurer » a un double sens : d’abord se NouRRir, sens qu’on retrouve dans notre reSTauRant, mais aussi reBâTir, reConSTRuire. Car les CaBaNes étaient en général laissées à l’abandon durant la belle saison, et il fallait ensuite les reSTaBiLiser, en reDReSSant et en « eSTouPant » les Pieux qui BRanLaient, et en remettant en oRDRe les toits de BRaNChage.
Et le doublet en latin inSTauRo et reSTauRo, inSTauRer et restaurer, fait donc aussi référence à cette alternance saisonnière, de SaTio la saison en latin qu’on vient de voir, et qu’on retrouve aussi dans le SoLSTiCe, le moment où le SoLeil est iMMoBiLe, aeSTas, l’été, ou en français dans « TôT », qui signifie le bon moment.
Cette notion du bon moment, de la bonne saison, on la retrouve aussi dans la LuSTRation, de LuSTRum en latin, cette cérémonie de purification par la lumière, qui devait être effectuée après le reCeNSement tous les 5 ans, ce qu’on a gardé dans l’expression : « ça fait des LuSTRes ». Mais on reviendra dans ma prochaine vidéo sur le recensement, fondamental aussi dans la culture Paléolithique.