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Sagar fait traverser la mer à ses 60’000 fils

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Le verset d’après revient sur la veine Paléolithique et sa Longue Durée :

Leurs œuvres saintes leur ont valu des éloges, depuis des siècles, depuis l'époque de Manu.

Et ce passage se clôt sur ces deux versets incroyables – dont je ne comprends pas qu’ils n’aient pas été relevés plus tôt (I 35):

Leur père ancestral était Sagar, celui dont le haut commandement a creusé la mer : Avec soixante mille fils qui se pressaient autour de lui tandis qu'il marchait.

Nous avons là, avec un zéro en moins, la même histoire de Moïse traversant la Mer avec les enfants d’Israël, au nombre de 600'000 :

Les enfants d’Israël partirent de Ramsès, dans la direction de Soukkoth ; environ six cent mille voyageurs, hommes faits, sans compter les enfants. Exode 12.37

Rappelez-vous, dans l’histoire Kabyle de Mahasuk, ce n’était pas très différent, au lieu de soixante mille fils, ils étaient cent garçons.Cette histoire d’une mer creusée par Sagar et ses fils, on la retrouve aussi dans le Livre VI (VI 1555, 1560), lorsque Rama tente de répliquer lui aussi ce miracle pour atteindre l’île où est retenue captive la reine Sita, et où il évoque ce souvenir Paléolithique de « chenaux qui auraient été creusés dans la mer par les fils de Sagar  ».

Dans un autre Livre, le deuxième, on en apprend un peu plus sur ce Sagar qui avait deux femmes, l’une accoucha d’une masse informe de chair, qui se transforma en ces fameux 60'000 fils, tandis que l’autre accoucha d’un seul fils, Asamanj. Une prophétie annonçait que les 60'000 fils seraient injustes, tandis que le fils unique serait juste. Pourtant le Ramayana, décrit le sort de ce fils unique comme étant particulièrement cruel. Je vous lis (II 478) :

Sagar, de qui descend ta lignée, a chassé son fils aîné, appelé Asamanj, disgracié, dont nous connaissons le sort : C’est ainsi que ton fils devrait partir en exil.

C’est en effet la reine Kaikeyi qui exige l’exil de Rama, tout comme Asamanj fut exilé.

Face à cette analogie, le Roi se récuse en disant :

Mais Asamanj le cruel saisissait les nourrissons qui jouaient, les jetait dans le fleuve Sarjú et souriait de contentement à la vue des enfants se noyant.

Ce Asamanj a des allures de Pharaon:

(Rappelez-vous) le moment où Nous vous sauvâmes des gens de Pharaon qui vous infligeaient le pire châtiment. Ils massacraient vos fils et laissaient vivre vos femmes. C’était là une terrible épreuve de la part de votre Seigneur. Sourate Al Araf (7.141).

Et pour terminer sur Sagar, le Ramayana (II 772) nous raconte que sa mère avait été victime d’un empoisonnement par une concubine rivale de son père – empoisonnement qui l’empêchait d’accoucher. D’où son nom Sa-Gar, « Avec Poison  ». Bien qu’on ne trouve pas de telle histoire d’empoisonnement dans la Bible, les rivalités entre femmes sont nombreuses – que ce soit celle de Sarah et Hagar, dont le fils fut aussi exilé par le père, ou surtout celle où Rachel, la femme préférée, mais stérile de Jacob demande à Leah, l’épouse moins aimée, mais féconde, qu’elle autorise son fils Ruben à lui céder la plante mandragore qu’il a trouvée dans un champs Genèse 30.14. Enfin, notez qu’il existe aussi un lien entre Moïse et le Poison – lorsque Dieu envoie des serpents venimeux attaquer les enfants d’Israël et que Moïse construit un serpent d’airain qui agit comme un antidote.

Ayodhyha, au cœur du Paradis

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Et, pour revenir à Ikshvaku dont les fils étaient reconnus pour leur courage et leur puissance, notons enfin que le Ramayana mentionne que c’est lui et ses fils qui gardaient la ville d’Ayodhya (II 653) construite en son temps par Manu lui-même après le Déluge (I 36) :

Sur les rives du Sarjú, vaste et vaste, se trouve l'heureux royaume de Koal, avec ses étendues fertiles de belle campagne, et ses troupeaux et ses abondantes céréales. C'est là, célèbre pour son ancienne renommée, que se trouve Ayodhyá, la ville royale, bâtie et planifiée autrefois, par la main princière du saint Manu.

Ce passage insiste sur la fertilité et l’abondance des rives du Sarju – qu’on retrouve aussi au Livre VI (VI 1770) – et qui évoque même explicitement le Paradis :

La route vers la belle ligne d'Ayodhyá avec des arbres où les fruits de toutes les couleurs peuvent séduire l'œil et le goût des Vánars, et où les fleurs de chaque saison, douces avec leurs réserves de jus mielleux, peuvent se rencontrer.[…] Sur plusieurs lieues, la route alignait des arbres couverts de fruits et de fleurs d’une beauté luxurianté, séduisants et savoureux comme les arbres du Paradis.

Cette ville de justice, située au milieu d’une nature fertile, où coule le lait et le miel, évoque à nouveau bien évidemment la terre de Canaan, conquise par les fils d’Israël – ou les fils d’Ikshvaku, ou les cent garnements de Mahasuk. C’est la cité parfaite et « imprenable  », à en croire l’étymologie, sur laquelle règne le Roi Dasaratha et qui pleure toute entière à l’idée de voir le jeune prince Rama la quitter (II 510).

6) Naissance miraculeuse d’un Sauveur

Bon, récapitulons. On trouve de nombreux parallèles entre la Bible et la littérature Indo-Iranienne – en particulier le Ramayana. Outre le Déluge, il y a cette histoire incroyable d’un père guidant ses 60'000 fils à travers la Mer pour conquérir et s’installer dans une terre fertile où coule le lait et le miel et y faire régner la justice. Ce récit est toutefois marqué d’une certaine ambivalence, puisque le souvenir de ces 60'000 fils équivalent à celui des 600'000 enfants d’Israël est marqué par leur injustice – sans pour autant être marqué d’un antijudaïsme comme dans les Contes Kabyles ou l’Avesta.

L’Annonce de l’incarnation d’un Sauveur, prédite par les prophètes

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Et pour conclure sur cette (re)lecture du Ramayana, rien de mieux que de prendre un peu de hauteur. Car cette magnifique histoire d’un prince déchu et exilé avec sa princesse fidèle se battant pour récupérer son royaume est en fait encapsulée dans une plus grande histoire : celle de l’incarnation divine dans un être humain. Car oui, dans un suspense incroyable, après des milliers de pages, on comprend qu’en fait Rama est une incarnation du dieu Vishnu. C’est tout l’objet de l’annexe du Ramayana, la section 13 (P1787) intitulée « Ravan condamné  ».

On y lit qu’avant même que ne commence le Ramayana, pour le bien de l'univers, les Dieux ont imploré Vishnu « de devenir le fils du roi Daaratha, seigneur d'Ayodhyá, éminent dans la connaissance du devoir, généreux et illustre, comme les grands sages. Devenu homme ainsi, ô Vishnu, triomphe au combat de Rávana, la terreur de l'univers, invulnérable aux dieux. Cet ignorant Rákshasa Rávana, par l'exercice de son pouvoir, afflige les dieux, les Gandharvaa, les Siddhas et les plus excellents sages ; ces sages, les Gandharvas et les Apsaras, s'amusant dans la forêt de Nandana, ont été détruits par ce furieux  ».

Ce motif du Sauveur et du Libérateur est très fréquent dans la tradition iranienne, celle de l’Avesta, rappelez-vous par exemple de la prophétie concernant le futur roi du monde, Kay Khushrow, descendant de la royauté originelle. On le retrouve aussi dans le livre 3 du Denkard, avec le récit de Jamshed (III 286), qui fut placé:

...par la volonté de Dieu, […] sur le trône spécialement pour empêcher les hommes de suivre les Devs et pour les libérer des mauvaises voies de l'impiété et de l'injustice .

Jamshed étant associé aussi à une longue période de prospérité. C’est aussi la figure de Zartosht, ou Zarathoustra, dont la venue est annoncée pour tous les démons et les méchants qui les assistent dans le livre 7 du Denkard (P9).

Dans le Ramayana, des prophéties lointaines annonçaient aussi l’incarnation de Vishnu en Rama pour vaincre l’ennemi juré, le terrible Ravan et ses Rakshasas (VI 1661) :

Ce Ráma est l'homme jadis  prédit par les lèvres d'Anaranya: Car de ma propre race impériale un prince surgira plus tard et te mènera, toi et les tiens, à la ruine. Un rejeton de ma lignée royale te tuera, vil misérable, toi et les tiens

en parlant de Ravan.