Alors, vous allez me dire : « tu nous fais tourner en bourrique Paraklet avec ce rapprochement entre Hawai, Bible, Coran et maintenant Berbères - mais où veux-tu donc en venir ? ». Pour le moment il s’agit juste d’une entrée en matière, mes enfants, bientôt tous les mystères seront dévoilés. Mais disons qu’à ce stade, ce passage par Hawaï me permet de vous introduire à la culture de mes ancêtres, les Berbères, qui comme les Hawaïens est un « peuple de la Mer » …
Comment ? Ça vous étonne que je parle des Berbères comme d’un « peuple de la Mer » ? Je comprends, vous les imaginez plutôt dans les montagnes de l’Atlas. Et puis, qui s’intéresse aux Berbères vraiment ? Pourtant, il n’y a pas si longtemps, dans l’Antiquité, l’Afrique du Nord intéressait beaucoup les anciens. Car ils avaient déjà noté d’étranges similitudes entre Nord et Sud de la Méditerranée, avec par exemple l’histoire d’Énée qui s’enfuit d’abord à Carthage après la chute de Troie, l’actuelle Tunis, comme nous le raconte Virgile …. Oui, en Tunisie – je sais, je sais, moi aussi ça m’a toujours étonné. Qu’allait-il donc faire chez ces Maghrébins ?
Mais ça n’est pas tout. Comme le rapporte René Basset, P25 Pomponius Mela, le premier géographe romain notait, lui, que « les habitants des rivages de l’Afrique, depuis les colonnes d’Hercule, ont adopté en tout point nos mœurs et nos usages ».Toujours à Rome, Hérodote le grand historien, avait quant à lui noté qu’en plus du Soleil et de la Lune, les Libyens adoraient Triton, Poséidon et Athéna – en particulier cette dernière. Ça, je l’ai trouvé dans l’ouvrage de référence d’Oric Bates sur les Berbères dans l’Antiquité, The Eastern Libyans, paru en 1914. René Basset de son côté rapporte que, toujours pour Hérodote, « ce sont les Libyens qui ont révélé Poséidon » (P23).
Quant au dieu « Triton », celui-ci est lié au Lac Triton – que l’on localise aujourd’hui entre le sud-est de l'Algérie et le sud de la Tunisie, les Chotts el-Jérid et Melrhir. Ces Lacs constituent d’une certaine manière une séparation entre l’Afrique du Nord montagneuse de l’Ouest et celle plus plate de l’Est. Or, selon la tradition gréco-romaine, c'est sur les bords du lac Triton que Zeus ressentit les maux de tête après avoir avalé Métis, avant qu’Athéna ne sortit de son crâne peu après. Ce qui expliquerait pourquoi Athéna est souvent appelée Athéna Tritogénie. C’est fou quand même non ? Athéna – « La » déesse incarnant le miracle Grec – une petite Tunisienne Amazigh ? Bizarre qu’on l’ait oublié non ?
Autour du Lac Triton avait lieu chaque année une fête, décrite par Hérodote et rapportée par René Basset comme suit (P24):
Le jour de la fête annuelle d’Athénè, les vierges se rangent en deux bandes combattant les unes contre les autres à coups de pierres et de bâtons. Celles qui meurent de leurs blessures sont réputées fausses vierges. Avant le combat, celle qui est reconnue pour la plus belle est ornée d’un casque corinthien et d’une armure grecque ; on la fait monter en outre sur un char et on la promène autour du lac.
Plus récemment, en 1933, Léonce Joleaud (P241) faisait un parallèle entre cette bataille rituelle et la Koura le jeu de la balle Berbère, donnant « lieu à de véritables corps à corps » parfois violents.
Dans l’Aurès et aillleurs, le jeu de la balle fait partie intégrante de la fête du printemps […] A Ras el Oued (Haut Sous), lorsque la sécheresse menace les récoltes, les hommes se groupent en un camp et les femmes en un autre -pour pratiquer la koura. A Tajgalt, dans le Haouz de Marrakech, femmes et hommes participent à cet exercice, chacun de leur côté, autour de sanctuaires maraboutiques. Chez les Aït Ouaraindu Nord-Est du Moyen Atlas, deux ou trois femmes entièrement nues jouent à la pelote avec des bâtons, loin de la vue des hommes. Chez les Tsoul, au Nord-Ouest deTaza, des femmes également nues se livrent à ce sport en utilisant une cuiller à pot pour lancer la balle. Dans l'Algérie orientale […] à ElMilia, après la promenade de la poupée, les femmes se lancent, avec des baguettes recourbées, une balle de liège. La même coutume se retrouve en Grande Kabylie, toujours comme rite de la pluie.
Et pour revenir au Lac Triton de Tunisie, celui-ci figure aussi dans l’épopée des Argonautes, composée par Apollonios de Rhodes au 3e siècle avant notre ère. Enfin, toujours en citant l’immense Hérodote, Yves Modéran note quant à lui dans ses Mythes d'origine des Berbères paru en 2010, (P1) « que les Maxyes, un peuple qu’il situe à l’ouest du fleuve Triton (près des Chotts tunisiens) se prétendaient descendants des Troyens ». Il rapporte aussi que Diodore de Sicile aurait mentionné « une ville africaine nommée Mesqela qui aurait été fondée par des Grecs au retour de la guerre de Troie » et que, selon « Servius, le grand érudit de la fin du 4e siècle ap. JC, qui utilisait des sources très anciennes, rapporte que des […] compagnons d’Ajax, après avoir débarqué en Cyrénaïque, auraient été les ancêtres des célèbres Nasamons du désert libyen ». Mais bon, je sais ce que les Pharisiens rétorqueront à ces Preuves : ce ne sont que des fables, des mythes, des histoires des Anciens !
Laissons-les grincer des dents. Et continuons notre exploration de la culture Berbère dans l’Antiquité, en nous intéressant au Bélier qui y avait une place prépondérante – en lien avec la fécondité et le soleil. Dans son ouvrage sur les Gravures rupestres et rites de l'eau en Afrique du Nord, Léonce Joleaud a répertorié toutes les gravures rupestres de béliers (P220) portant comme une sorte de casques et qui urinent, métaphore de la pluie fécondante sur laquelle on reviendra. Parfois ils sont représentés avec des femmes en adoration ou parturientes – en train d’accoucher, jambes repliées écartées.
Il cite aussi un pèlerinage qui se pratiquait dans une montagne située entre le Haut Atlas et l’Anti-Atlas (P252), où les pélerins:
...amènent avec eux un Bélier qu’ils sacrifient sur les grandes dalles naturelles du sommet et ils font en même temps l’offrande de leur bâton de marche à la pseudo-tombe d’un marabout, située au point culminant de la montagne. Cette soi-disant tombe, où probablement personne n’a jamais été inhumé, voisine, dans ce haut lieu, avec beaucoup de kerkours de pierre ».
Le même type de dalles naturelles sacrificielles observées dans les Iles Canaries par La Blanchère en 1883.
Oric Bates évoque quant à lui (P195) le bélier dont la force, la vitesse, l’inaccessibilité de ses refuges et sa propension pour les hauteurs imposaient le respect des « esprits primitifs » En passant, dans la Bible, ce n’est pas un bélier, mais un bouc qui était jeté des hauteurs – à Azazel. Pour Léonce Joleaud (P232), le casque représenté sur la tête des béliers:
...était sans doute une calebasse, un panier ou souvent un vase d'argile, qui pouvait être retenu sur la tête de l'animal par une mentonnière passant sous le cou. De cette calebasse, de ce panier ou de ce vase émergeaient soit des plumes, soit des feuilles, des feuillages ou des fruits.
Et vous savez qui d’autre s’y connaît en rituels de fécondité faits de « panier garni » ? Eh oui, mes enfants...les Hawaïens! Une fois les cérémonies du Dieu Lono terminées – vous savez celle avec cette croix enveloppée d’un drap - et bien, on procédait à la confection d’un filet à large mailles (P212):
Quatre hommes en tenaient les coins. Il était garni de toutes sortes de nourritures : taro, patates douces, fruits à pain, bananes, noix de coco et porc. Les prêtres avançaient pour prier : « Le filet emplit les cieux. Secouez-le ! Laissez choir les nourritures divines! Semez-les à la volée, O cieux ! (...) Vie de Kane, Kane, dieu de la vie. (...) Saluons Kane de l'eau vitale ! »
Les juifs du Maroc aussi connaissent bien les paniers garnis – le soir de Pâques, lors du repas familial, le maître de maison fait circuler un « panier garni » symbole d’abondance sur les têtes des convives en chantant « Bi’ibilou Yatsanou mitsrayim … ». Mais on va y revenir sur la sortie d’Egypte …
Léonce Joleaud fait quant à lui aussi le lien avec:
...le mythe égyptien de la résurrection végétale d'Osiris. En particulier les gravures de Béliers d'El Korema, où ces bêtes portent un casque percé de trous nombreux, par lesquels semblent sortir toute une série de pousses […] A Philé, le mythe est synthétisé par la représentation du corps d'Osiris donnant naissance à des tiges végétales, grâce à l'arrosage par un personnage : ainsi se manifeste la liaison du renouveau de la végétation et de l'eau.
On retrouve ce même lien entre fécondité animale et végétale avec la fête de Boujloud ou Biyelman, que Léonce Joleaud décrivait ainsi en 1933 (P270) :
L'homme de l’Aid el Kebir, a son corps nu vêtu de peaux de Moutons ou de Chèvres. Les sabots de la dépouille de ces bêtes pendent au bout de ses mains, afin qu'il puisse s'en servir pour frapper. Il est coiffé d'une tête de Mouton ou porte des cornes de Vache : l'extrémité de chaque corne est souvent piquée dans une orange garnie d'un bouquet de plumes. La face de Boujloud est masquée par une vieille outre; sa tête et ses épaules sont parfois couvertes de branches de verdure. A son cou pendent deux ou trois colliers d'escargots. Un fort pénis figure entre ses jambes. Enfin, avec une ou deux baguettes, longues parfois de quatre à cinq mètres et terminées par un pied de Bélier ou de Bouc, il frappe tout le monde »
Oui, un vrai satyre ce Boujloud !
Pour Léonce Joleaud (P246), le sacrifice d’un mouton à l’Aïd El Kebir pourrait d’ailleurs être :
...une survivance du culte du Bélier […] Habituellement la bête destinée à l’égorgement rituel est parée d’étoffes chatoyantes et promenée processionnellement […] En général les bergers conservent la queue de la victime et la jettent dans les feux rituels, afin, disent-ils que leurs troupeaux prospèrent et restent bien en mains.
Notons enfin que Oric Bates nous rapporte P187 que pour Hérodote tous les Libyens sacrifiaient au Soleil et à la Lune, en commençant par l’oreille de la victime qu’ils coupaient et lançaient par-dessus leurs habitations. Vous vous rappelez, cette même oreille a une place prépondérante dans les sacrifices Hawaïens – tout comme dans le Coran, qui critique précisément ceux qui se prosternent devant le soleil et la lune, dans la Sourate Fussilat 41.37.
Mais pour revenir à la place prépondérante du bélier dans l’imaginaire berbère de l’Antiquité, Léonce Joleaud cite Saint Athanase (P251) et Macrobe (P255) pour qui « les Libyens tiennent pour un dieu le Bélier, qu'ils appellent Ammon ». Il cite aussi une légende (P251) d’un saint qui « mis en prison par le caïd, appela à l’aide les Béliers de son pays : ceux-ci se précipitèrent sur le château où le saint était retenu, et renversèrent cet édifice, délivrant ainsi le prisonnier ».
Enfin, Léonce Joleaud cite Servius pour qui Ammon serait le nom d’un dieu « que personnifiait, […] de Carthage [en Tunisie] à Cyrène [en Libye], un enfant portant des cornes de Bélier ». Oric Bates précise (P190) que cet enfant fut trouvé par des bergers dans les dunes, énonçant des prophéties – mais qu’il cessait lorsqu’on le soulevait pour recommencer une fois reposé au sol. Puis il disparut – et c’est cet événement qui serait à l’origine du culte de Zeus-Ammon et son lien avec la parole prophétique (P194).
Oric Bates fait le lien entre Ammon et le culte des ancêtres bien attesté chez les Berbères – et que je vous ai déjà évoqué dans ma vidéo S5 lorsque je vous parlais de l’Adebni, la divination sur les tombes des saints. Ce mode de divination sur les tombes est d’ailleurs un autre point commun très important avec la culture Hawaïenne. Selon Oric Bates donc (P194), Ammon était en effet l’archétype « de ces ancêtres et hommes de sur les tombes desquelles les Libyens se rendaient pour connaître le futur » et dont les réponses étaient parfois transmises dans les rêves. Exactement comme à Hawaï, où les ancêtres, les Aumakua, communiquent eux-aussi avec les hommes et les femmes dans leurs rêves, souvent près de la pierre de Kane – vous vous rappelez cette pierre dressée familiale ointe d’huile de coco ?
Et donc pour revenir à Ammon, ce dieu bélier solaire, la capitale de son culte était l’oasis de Siwah, aussi appelée Ammonium. Un oracle y séjournait et sa popularité était reconnue jusqu’en Grèce : les Athéniens entretenaient même un navire spécial aux frais de l’état pour aller poser des questions au dieu Libyen (P191). On raconte même qu’Alexandre le Grand se rendit en personne dans ce sanctuaire du désert.
Ammonium ou Siwah était donc un haut lieu de divination, et les consultations y étaient toutefois effectuées dans un cadre beaucoup plus impressionnant que l’habituel Adebni sur les tombes des ancêtres. Le dieu Ammon était transporté dans la palmeraie en procession dans une barque portée par 80 prêtres – certains voyant là l’influence Égyptienne du culte d’Ammon-Re. Sur cette barque reposait la divinité en or, tandis qu’une longue file de vierges et matrones suivait la barque en chantant des chants propitiatoires.
Il y avait aussi à Siwah une Fontaine sacrée du Soleil et une pierre sacrée qu’il ne fallait surtout pas toucher sous peine de réveiller un Djinn prenant la forme d’un vent de sable. Ce lien avec le Soleil renvoie aux multiples témoignages d’un culte privilégié du Soleil chez les Berbères, parfois nommé Ammon, comme par exemple par Macrobe P187 – et aussi avec le fait que la constellation du Bélier est celle par laquelle passe le Soleil à l’équinoxe de printemps.