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3) Des Hawaïens au Maghreb

Les Canaries, l’autre Hawaï ?

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Reprenons donc notre voyage dans les îles – cette fois-ci pas dans le Pacifique mais dans l’Atlantique, aux Iles Canaries. Comme Hawaï les Canaries sont des îles volcaniques. Et avant d’être colonisée par les Espagnols, figurez-vous que leurs premiers habitants étaient des … Berbères - tout comme moi – par mon père, du Maroc. Alors oui, je sais que le terme Berbère ne plait pas à tout le monde. Certains préfèrent Amazigh. D’autres, Kabyles. Ou encore Chaouia. Ou même Chleuh. Bon de toute façon, tout ça ce sont des mots – et vous savez que le Paraklet se joue des mots et des langues.

En tout cas, aux Canaries, on les appelle les Guanches. Vous vous rappelez les rituels « bibliques  » des Hawaïens, consistant à sacrifier des animaux et à verser des liquides gras sur des pierres dressées, qu’on a vus dans ma dernière vidéo ? Et bien figurez-vous que c’est pareil chez les Guanches. Comme nous le raconte René Basset dans son livre intitulé La Religion des Berbères publié en 1910 (P5):

Près du cratère de la Caldera, à Palma, existait un rocher ayant la forme d’un obélisque et qu’on nommait ldafe. Pour éviter sa chute, les gens de la tribu de Tanansu qui était établie aux environs, lui offraient, en procession et avec des chants, les entrailles des animaux qu’ils mangeaient, et quelquefois des victimes entières étaient précipitées du haut des montagnes voisines. Dans la Grande Canarie existaient deux rochers : l’un nommé Tismar, dans le district de Galdar, l’autre Vimenya, dans celui de Telde. Dans les temps de détresse, les habitants, accompagnés par des religieuses nommées Magadas […], faisaient des pèlerinages à ces deux rochers, tenant dans leurs mains des branches de palmiers et des vases remplis de lait et de beurre qu’ils versaient sur ces rochers.

On retrouve là le même type de rituels qu’à Hawaï, consistant à sacrifier des animaux et à verser des liquides gras sur des pierres dressées – dont je vous ai déjà rappelé les parallèles bibliques et coraniques.

Un peu plus loin, René Basset cite La Blanchère, dans son Voyage d’études dans une partie de la Maurétanie Césarienne, paru en 1883, qui avait observé:

...comme une pierre énorme [de] quatre mètres dans sa plus grande épaisseur [...] Lorsque l’on grimpe sur cette roche parfaitement irrégulière, […] on y remarque trois trous [...] dans lesquels il est facile de voir qu’ont coulé des masses de liquide. [...] Il n’est pas douteux qu’on n’ait là un autel primitif, une table à sacrifices. Le sacrifice s’accomplissait en face d’un horizon immense : tous les peuples de la plaine le voyaient et le feu qu’on allumait, sans doute, s’apercevait des cimes lointaines de Lalla de la montagne de Lalla Krua.

Dans la Bible, on retrouve aussi cette pratique de plateformes sacrificielles établies au sommet de montagnes– les fameux « haut-lieux  » BaMah tellement critiqués par la Bible, que ce soit dans le Lévitique 26.30 ou dans les Nombres 33.52. C’est sur les BaMoT de Ba’aL que Bil’am le prophète de Moab monte pour observer et maudire le peuple d’Israël – mais c’est aussi sur une BaMah que monte Samuel (I 9.13), le dernier Juge d’Israël, pour accomplir les sacrifices.

Tlgonja, la poupée drapée et féconde qui mouille (comme à Hawaï)

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Bon, bien sûr, la pratique des sacrifices est assez répandue – sans être « universelle  », loin de là. Tout comme celle consistant à oindre des pierres dressées. Continuons donc notre exploration des rites berbères en Afrique du Nord – dont vous allez voir là aussi qu’ils sont très « Hawaïens  ». Le rituel le plus important est selon moi celui appelé iFeR-GaNe – non pardon Terghenja, ou Ghondja ou Tlgonja – de la racine GaNa. Tighnouth NuaGe, Igenni, le Ciel. Rappelez-vous aussi la place particulière qu’a la racine QaNa à Hawai – le KaHuNa, le prêtre, KaNe, le Dieu Suprême.

Bref, il s’agit d’un rituel d’invocation de la pluie – dont on a vu l’importance aussi à Hawaï. Rappelez-vous : les femmes y chantaient une prière à LoNo le dieu de la fertilité : « Fais tomber les pluies bienfaisantes, O Lono, La pluie de la vie, don précieux ». LoNo qui est d’ailleurs associé au lever des Pléïades qui « marquait le commencement de la saison d’hiver avec ses vents du sud et ses pluies diluviennes. Une fois la terre gorgée d’eau grâce aux invocations de Lono, on pouvait procéder aux plantations  », nous confie Serge Dunis (P221).

Et bien chez les Berbères c’est assez similaire, René Basset nous raconte comment:

... à Aïn Sefra, à Tlemcen, à Mazouna, on prend une cuiller en bois (en kabyle aghendja) qu’on habille avec des chiffons, de manière à en faire une sorte de poupée représentant une fiancée ou une mariée, appelée Ghondja, que l’on promène solennellement aux tombeaux des marabouts locaux, en chantant des couplets qui varient suivant les localités. Ainsi celui-ci : « Ghondja ! Ghondja a découvert sa tête. O mon Dieu, tu arroseras ses pendants d’oreilles ; L’épi est altéré ; Donne-lui à boire, ô notre Maître. » À Tit, dans les oasis du Touat, pendant la sécheresse, les gens sortent du qçar, hommes, femmes, garçons et fi lles. Ils prennent une cuillère de bois et l’habillent de vêtements féminins. Une jeune fille la porte et les gens répètent : « O cuiller! ô prairie !; Seigneur, améliore le temps de la chaleur ! ô Seigneur !  »

Un autre observateur, Léonce Joleaud, dans son livre intitulé « Gravures rupestres et rites de l'eau en Afrique du Nord  » paru en 1933, relevait (P211) lui aussi que « les vieux rites berbères de la pluie se sont particulièrement bien conservés au Maroc, surtout dans l'Atlas et dans le Sud ». Il notait lui aussi la présence:

...d'une traditionnelle grande cuiller en bois (tljonja) habillée en fiancée (taslit). La foule chante : « Belghonja ! Qui croît en Dieu qui peut nous secourir avec la pluie par l'Agneau et le Bélier réunis ! »

Ou encore la pratique d’une « procession de deux poupées, une fiancée tlgonja et son mari couverts de haillons noirs » – qui était organisée y compris même à Tunis, où les enfants promenaient aussi une poupée tangui ou tanguo en cas de sécheresse, ou bien à Djerba, où « une petite cuiller décorée d’une tête de fiancée et donnée aux enfants à l’occasion des fêtes religieuses, reçoit le nom de tongo, tandis qu’à Tunis elle est appelée gonjaia  ».

Cette cuiller peut aussi être une pelle que « les Rifains et d'autres Berbères du Nord marocain appellent tasrit ounzar, fiancée de la pluie  » (P244). Elle est aussi:

...recouverte de vêtements féminins et portée solennellement en temps de sécheresse autour de leurs marabouts locaux : la pelle ainsi exhibée triomphalement est l'instrument en bois réservé aux manipulations des céréales sur les aires à battre.

Vous trouverez d’ailleurs sur Paraklist un très bel article illustré sur le sujet – et vous pourrez constater que cette figurine avec son buste vertical et ses bras horizontaux ressemble étonnamment à une croix.

Et figurez-vous que, de façon assez incroyable, on retrouve des pratiques très proches à Hawaï – à l’autre bout du monde – avec une croix drapée là aussi. Serge Dunis, toujours dans son Ethnologie d’Hawai, nous décrit précisément (P208), le rituel de:

...la construction de Lono makua, une perche de 3 m 60 de long pour 8 cm de section, avec renflements sculptés à intervalles réguliers, et figurine au sommet. Une traverse de 5 m de long, ke'a, se fixait au cou de la figurine. On y pendait des bouts de fougère comestible. […] La croix de Lono recevait ensuite une grande pièce de tapa blanc […] aussi large que la traverse à laquelle elle était attachée, et plus longue que le montant. Le dieu Makahiki : akua Makahiki, ou Lono makua: père Lono, était donc paré d'une véritable voile. Peuple et chefs le portaient en grande pompe le soir, avant de l'oindre d'huile de noix de coco.

On retrouve là, tout comme chez les Berbères, la constitution d’une figurine de forme oblongue, drapée dans des tissus, associée à une divinité de la fécondité – et toujours l’onction d’huile. Cette « croix de Lono  » véritable dieu incarné, était promenée dans toute l’île, et P210 « les chefs donnaient à manger au dieu, ou plutôt à son porteur, lorsqu'il arrivait chez eux  » - directement dans sa bouche (P221) « afin que ce dernier ne touchât point la nourriture  […] Suite aux échanges de bienvenue, le porteur s’avançait vers l’entrée de la maison où lui était remis un onguent de chair de noix de coco mâchée. Un membre de la maison se chargeait d’oindre le dieu Lono  ». On prononçait ces mots : « Voici pour ton onction, O Lono. Sois sensible à notre appel  ». S’il s’agissait d’une femme mariée n’ayant pas encore d’enfant, « cet appel pouvait exprimer un désir de grossesse  »

Enfin, pendant plusieurs jours on allumait des feux de joie dans toute l’île – pratique bien connue dans les montagnes de l’Atlas sur laquelle on reviendra - et des banquets avaient lieu dont on éliminait soigneusement les restes P211 – tout comme les sacrifices devaient être intégralement consommés au bout de 3 jours dans le Lévitique, ou la nuit même pour celui de Pâques…